La RT 2012 trébuche sur la RT 2012

 

 

Des voix commencent à s’élever pour dénoncer la multiplication d’études thermiques erronées ou des écarts significatifs entre le projet et la réalisation de maisons, au détriment du respect de la RT 2012

Quelle est la proportion de maisons individuelles neuves qui ne seraient pas tout à fait conformes à la réglementation thermique 2012 ? Poser la question, c’est déjà entrer dans une zone grise où les langues se délient peu à peu. En effet, une part – qui reste à déterminer – de constructions neuves ne répondraient pas aux contraintes de cette réglementation de la performance énergétique née du Grenelle de l’Environnement et applicable à tous les bâtiments résidentiels neufs depuis le 1er janvier 2013.

 

Le cadre fixé est visiblement contraignant : avant de démarrer les travaux, une étude thermique préalable permet d’établir une attestation obligatoirement jointe à la demande de permis de construire et, avant réception, le résultat du test de perméabilité à l’air et l’étude thermique réactualisée sont nécessaires pour obtenir un document à joindre à la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux (DAACT). « Je vois pourtant pas mal d’étude thermiques bidonnées indiquant un Sud mal orienté qui permet de tricher au niveau du coefficient thermique du vitrage et de gagner artificiellement des points pour rendre une maison conforme », s’emporte Serge Nauges, constructeur et président de l’Union des Maisons Françaises en Languedoc-Roussillon. Patrice Normand, dirigeant de NRGYS Domotic, un important BET implanté à Carquefou, constate aussi ce qu’il qualifie de « dérive » : «  Nous observons des erreurs sur l’intégration des fenêtres dans le bâti qui peuvent faire varier l’écart de performance de 10 à 15 %. Certains BET prévoient aussi des systèmes de génie climatiques non certifiés mais qu’ils considèrent comme tels ». Pour Lionel Huet, responsable du BET ATM Sud-est (Analyses Thermiques de la Maison), la non-conformité peut être plus ou moins grave : « Même si ce n’est pas conforme, il est moins grave d’avoir prévu une VMC type A et d’installer une VMC type B que de voir une étude prévoyant une pompe à chaleur et de retrouver la maison équipée en système de chauffage tout électrique à la livraison ».

 

Dans ce cas, l’étude est bonne mais pour différentes raisons (particuliers ne passant pas par un contrat de construction Loi 1990, par exemple), le chantier n’en tient pas compte. Très remonté, François Turland, le DG de Bastide-Bondoux, BET spécialisé dans la maison individuelle et qui réalise 12 000 projets par an notamment avec France Confort et Geoxia – a identifié une erreur fréquente de la part de certains BET, celle du métré : « Le thermique est le transfert de chaleur à travers une paroi. Quatre dossiers erronés sur cinq contiennent des écarts de 10 à 15 m2 de murs…en moins. Forcément, avec des études aussi fausses, vous avez moins de surfaces de déperdition et un résultat plus favorable ».

Erreurs volontaires ou maladresses ?

Pour quelques erreurs, faut-il pour autant crier au loup ? Et d’abord contre qui ? Les constructeurs ou les BET ? Pour Patrice Normand, « Il y a une tendance prononcée chez certains constructeurs à fermer les yeux sur des pratiques arrangeantes ». Tout comme Serge Nauges : « Que certains soient  des margoulins, c’est leur problème, mais ça ne passe pas quand certains adhérents de l’UMF jouent aux cons ! ». Pourtant, c’est du côté des BET, et surtout des petites structures, que les regards se tournent : « D’un côté, le marché de la maison individuelle est en crise et a été divisé par deux en l’espace de sept ans, avec 90 000 maisons construites en 2014, explique François Turland. De l’autre, vous avez plus d’un millier de BET formés en sociétés unipersonnelles utilisant un moteur de calcul thermique sans compétence particulière. C’est cela le drame ».

 

Devant cette équation, certains constructeurs fermeraient les yeux : « Combien de fois un constructeur nous appelle pour nous dire que nous sommes mauvais et qu’il a trouvé moins cher et plus rapide, lance un dirigeant de BET très implanté dans le secteur. Quand nous réclamons l’étude du concurrent, elle est fausse 10 fois sur 10. Pourquoi ? Le calcul règlementaire s’est complexifié. Pour une base de 100 paramètres sur la RT 89, nous en sommes à plus de 1 200 sur la RT 2012 !! ».  Patrice Normand dresse un paysage inquiétant : «Nous sommes cinq leaders sur le marché à travailler proprement, auxquels il faut ajouter 50 acteurs majeurs et, c’est là le problème, un millier de BET de deux à trois personnes ». Un autre thermicien raconte cette anecdote dont il ne se remet toujours pas : « Au cours d’une réunion, j’ai rencontré une personne qui s’installait comme BET et venait d’acheter le logiciel évalué favorablement par le CSTB. Il découvrait l’outil depuis seulement trois semaines après avoir quitté son métier de…boulanger ! ». Et c’est sans évoquer les études thermiques, attestations de permis de construire et justificatifs de conformité de fins de travaux proposés par des sites Internet en 24 heures…

A qui perd gagne

A ce stade, il est légitime de se demander quel serait l’intérêt de tordre ainsi les études thermiques. Les BET montrés du doigt grappillent des parts de marchés : « Les petits acteurs jouent un rôle de proximité auprès de certains maîtres d’ouvrages un peu négligents, avec des prix fracassés, de deux ou trois inférieurs à la normale », souligne François Turland. Une étude thermique de 300 € peut ainsi être proposée à 120 €. Ce « gagne petit », comme le qualifie Patrice Normand a des conséquences sur la construction elle-même : « L’incompétence volontaire ou non de certains permet de proposer, par exemple, des descriptifs techniques de matériaux moins onéreux que nécessaire, poursuit le dirigeant de Bastide-Bondoux, le but étant de dégrader la performance du bâti en restant visiblement conforme. Le gain peut atteindre 2 000 à 3 000 € sur un projet de construction de 100 000 €, répercutés ou non auprès du particulier ». Ne serait-ce pas un moyen de contourner le surcoût de construction dans le cadre de la RT 2012, comme il a déjà été constaté pour le BBC (de l’ordre de 13 600 € pour une maison de 120 m2 selon une étude récente du Commissariat au développement durable) ?

 

Cette économie au rabais oublie cependant la contrepartie sensée réduire la facture énergétique des occupants. Or, les manquements à la RT 2012 peuvent se traduire sur les factures des particuliers. Pour une maison de 90 à 100 m2, l’écart peut être du simple au double. Par exemple, entre une pompe à chaleur basse température prévue initialement et l’installation de convecteurs non certifiés, la facture passerait de 350/400 € à 800 € par an.

Contrôles et solutions

Quand il signe le formulaire de demande de permis de construire, le maître d’ouvrage déclare prendre connaissance des règles de construction, dont la RT 2012. Leur non-respect constitue un délit, passible de sanctions pénales, pouvant aller jusqu’à une amende de 45 000 €, portée à 75 000 € et 6 mois d’emprisonnement en cas de récidive. L’article L. 151-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit que « Des agents commissionnés et assermentés de l’État ont le pouvoir de contrôler les constructions jusqu’à 3 ans après l’achèvement des travaux, en demandant des documents relatifs à la construction d’un bâtiment, en visitant la construction et en procédant aux vérifications jugées utiles ».

 

Pourtant, les acteurs de la filière constatent que, faute d’effectifs suffisants, ces contrôles sont rares. « Tout n’est pas si simple, prévient Lionel Huet. Non seulement toutes les maisons ne sont pas contrôlées, mais le test de perméabilité peut passer sans que le système de chauffage ne soit conforme et sans que personne ne s’en inquiète ».

 

Chacun retient son souffle car les reventes de maisons en RT 2012 ne sont pas suffisantes pour prendre du recul : « Quelle sera la réaction d’un acheteur constatant les écarts entre les préconisations de l’étude thermique et les équipements non conformes installés ou avec les factures réelles ? », s’interroge Lionel Huet.

 

Les regards se tournent vers la DHUP et le Ministère du Logement qui n’ont pas répondu à nos sollicitations. « Il n’existe pas actuellement d’organe de contrôle sur la partie études thermiques, regrette un interlocuteur dont le BET est engagé dans la démarche volontaire NF Etudes Thermiques. Nous demandons à la DHUP de préciser des points en matière de réglementation, notamment sur la saisie sur le logiciel et d’effectuer des contrôles par échantillonnage par des organismes certifiés pour sanctionner des comportements déviants ». Le dirigeant de Bastide-Bondoux, également en certification volontaire comme dix autres BET en France, partage le même discours : « La première urgence serait de vérifier le nombre d’attestations administratives de travaux effectivement envoyé au regard du nombre de permis de construire accordés !

 

Le ministère du Logement a travaillé en 2012 sur des projets de labels de certifications ou de qualification des BET pour atteindre des niveaux de performance supérieurs à la réglementation actuelle. C’est la seconde urgence. Cette démarche doit être accélérée, et dans la perspective de la RT 2020, les pouvoirs publics doivent imposer une reconnaissance de la compétence des BET et un contrôle des études thermiques par échantillonnage. Cette distorsion de concurrence, qui touche autant les constructeurs  de maisons que les BET, doit être combattue dans les meilleurs délais ».

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